Continuum, 2018

Mars est un symbole de l’extra-terrestre, une métaphore de l’altérité. Dans « Continuum » Félicie d’Estienne d’Orves a imaginé un film en hommage à la pionnière de la musique électronique Éliane Radigue (née en 1932). 

Son installation immersive, réalisée à partir d’images prises par les sondes de la NASA, montre un coucher de soleil sur Mars d’une heure environ, accompagnant la pièce musicale « Koumé », troisième partie de la « Trilogie de la Mort » de la compositrice française. Le paysage martien évolue à travers différentes phases de couleurs, déployant des ciels allant progressivement de l’orange au bleu jusqu’au crépuscule, à rebours de notre coucher de soleil terrien. 

La composition minimaliste d’Éliane Radigue fait écho à ces champs monochromes, tenant en un seul souffle, profond. Le temps et l’espace se dissolvent dans le visuel et le sonore. 

Sean Rose


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« Le soleil qui se couche à l’horizon – image chromo par excellence déclinée sous forme de cartes-postales ou de fond d’écran – est la quintessence du cliché visuel. Pour un peu on oublierait l’étrangeté de ce phénomène qui nous fait indument croire qu’une disparition, un drame se joue chaque fois sous nos yeux. Si la science contredit nos impressions naïves, notre perception du réel, comme le note Bachelard, s’avère indissociable de structure imaginaires, de rêves et de mythes. On se rappellera qu’au sortir de la caverne, les disciples de Platon avancent péniblement avant d’affronter en plein jour l’ardente vérité solaire. Ils observent les ombres puis les reflets de l’astre dans les flaques d’eau, enfin, au prix d’un long cheminement intérieur, tels les explorateurs d’exoplanètes, le ciel nocturne, la lune et les étoiles. Puis le soleil lui-même, clef de voûte de la pensée et du visible. 

De nombreux peintres ont décelé dans l’astre couchant et levant la promesse 
d’un autre monde. Chez Turner, le soleil rayonnant semble parfois déchirer la toile pour ouvrir un autre espace dans la peinture ou nous aveugler de la plus éclatante façon. De manière crépusculaire, Caspar David Friedrich peint avec L’Abbaye dans une forêt de chênes le flash d’un soleil disparu. 
Il s’est peut-être abîmé derrière la ligne d’horizon, ayant explosé, livrant les moines à la perspective d’un hiver sans fin. À moins qu’une rédemption du monde ne naisse à la pointe de l’étrange lueur rouille qui brûle au fond de la toile. 

Le soleil martien qui se couche nous rapproche d’un monde hostile, prélude à une terraformation, pour mieux nous en éloigner. Félicie d’Estienne d’Orves reconstitue et imagine la fiction vraie d’un coucher de
soleil sur Mars, en s’inspirant d’images de la Nasa et du regard froid et technologique de rover. En nous confrontant à une immensité cosmique, cette installation invite à se perdre dans l’horizon d’une mort et d’une renaissance. Sur les traces des aînés du Land Art voyageant sur des sites naturels désertiques, l’artiste fait de l’inaccessible sa quête principale.


La composition musicale électro-acoustique d’Éliane Radigue, Koumé, issue de sa Trilogie de la mort, dessine un paysage sonore
 qui amplifie et approfondit l’expérience singulière, aux confins de la science et de 
la mystique, à laquelle nous convie Félicie d’Estienne d’Orves : faire ici-bas, avec nos sens, l’épreuve d’un ailleurs et d’autres dimensions spatiales et temporelles. Notre corps, notait Henri Bergson, est « coextensif à notre conscience, il perçoit ce que nous percevons, il va jusqu’aux étoiles ». 

Olivier Schefer 

Projection vidéo, simulateur vidéo,
projecteurs lumières, écran, son, 15 x 6 m.
Durée : 51 min 

Musique
Éliane Radigue
Koumé, La Trilogie de la Mort, 1993


Spatialisation sonore
Lionel Marchetti


Lumières
Rémi Godfroy


Régie
Étienne Landon, Martin Saez


Simulateur et programmation
Guillaume Jacquemin

Collaborateurs scientifiques
Dr François Forget - Laboratoire de Météorologie Dynamique / Jussieu
Dr Dan McLeese - JPL/Caltech (USA)

Dr William Rapin - CNRS
Dr Mark Lemmon - A&M University (USA)
 
Production
Les Spectacles vivants - Centre Pompidou

Avec la participation du : DICRéAM (CNC)

Production exécutive : Olivia Sappey


Avec le soutien
STARTS residencies, Arcadi Île-de-France,
Biennale Chroniques, Novelty,
Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains